Si vous m'aimiez tant soit peu, - je pourrais
supporter les chaînes qui meurtrissent, - je
pourrais rêver que les chaînes sont fragiles; -
vous ne m'aimez pas du tout.
O belles lèvres, ô sein, - plus blanc que celui
de la lune et chaud, - une stérile fleur et
ruinée - est balayée sur votre chemin dans un
orage.
Comme les blancs fiévreux membres perdus,
- de la Lesbienne Sappho, dispersés - dans
l'écume où les algues nagent, - nagent déta-
chés sur la crête des flots.
Mon coeur nage aveuglément dans une mer
-qui m'étourdit; il nage ça et là, - et re-
cueille au vent et sous le vent - des lamenta-
tions, et du deuil, et du chagrin.
Tel un bateau brisé, vidé, - la mer le ronge,
les vents le disjoignent, - malade et en dérive
et flottant, - épave dépouillée de mon coeur.
Où , quand les dieux veulent être cruels,-
chercher ici une torture? Où - plantent-ils des
épines, où enchâssent-ils la douleur comme un
joyau? - Ah, non dans la chair, pas là!
Les lois de torture de la terre et les fléaux -
sont faibles comme l'écume sur les sables; - dans
le coeur est la peur des dieux - qui crucifient
les coeurs, non les mains.
De simples douleurs corrodent et, consument
- quand meurt la vie dans le cerveau mort;
- dans l'esprit infini il y a place - pour les
battements d'une peine infinie.
Je voudrais que vous fussiez morte, ma chère;
- je vous donnerais, si j'avais à donner, -
quelque mort trop amère à craindre; - il vaut
mieux mourir que vivre.
Je voudrais que vous fussiez frappée par le
tonnerre - et brûlée d'une flamme brillante, -
consumée et fendue en deux, - moi mort à vos
pieds comme vous.
Si je pouvais seulement savoir, après tout, -
je pourrais cesser de désirer et de peiner, -
quoique votre coeur fut bien petit - s'il n'était
pas une pierre ou un serpent.
Vous êtes plus cruelle, vous que nous aimons,
- que la haine, la faim, ou la mort; - vous
avez des yeux et des seins de colombe, - et
vous tuez le coeur des hommes d'un souffle.
Comme un fléau dans une ville empoisonnée
- insulte et exulte sur ses morts, - ainsi vous,
quand, pâle de pitié, - vient l'amour, et demande
à être nourri.
Comme une bête apprivoisée se tord et lèche,
- il implore sa nourriture avec des caresses;
- vous lui faites une croix d'aiguilles, - et les
aiguisez et les pointez comme vous sourires.
Il est patient sous les épines et le fouet; - il
est muet sous la hache ou le dard;; - vous sucez
d'une lèvre rouge endormie - les humides bles-
sures rouges de son coeur.
Vous tressaillez tandis que ses pouls diminuent
- vous vous allumez et vous échauffez tandis
qu'il saigne, - les yeux insatiables qui s'éclai-
rent - et la bouche insatiable qui ronge.
Vos mains ont cloué l'amour à l'arbre, - vous
l'avez dénudé et flagellé de fléaux, - et noyé
profond dans la mer - qui cache les morts et
leurs dieux.
Et malgré tout ceci il ne veut pas mourir: -
aucun homme ne le voit que moi; - vous êtes
venue et partie et avez oublié, - j'espère qu'un
jour il mourra.
supporter les chaînes qui meurtrissent, - je
pourrais rêver que les chaînes sont fragiles; -
vous ne m'aimez pas du tout.
O belles lèvres, ô sein, - plus blanc que celui
de la lune et chaud, - une stérile fleur et
ruinée - est balayée sur votre chemin dans un
orage.
Comme les blancs fiévreux membres perdus,
- de la Lesbienne Sappho, dispersés - dans
l'écume où les algues nagent, - nagent déta-
chés sur la crête des flots.
Mon coeur nage aveuglément dans une mer
-qui m'étourdit; il nage ça et là, - et re-
cueille au vent et sous le vent - des lamenta-
tions, et du deuil, et du chagrin.
Tel un bateau brisé, vidé, - la mer le ronge,
les vents le disjoignent, - malade et en dérive
et flottant, - épave dépouillée de mon coeur.
Où , quand les dieux veulent être cruels,-
chercher ici une torture? Où - plantent-ils des
épines, où enchâssent-ils la douleur comme un
joyau? - Ah, non dans la chair, pas là!
Les lois de torture de la terre et les fléaux -
sont faibles comme l'écume sur les sables; - dans
le coeur est la peur des dieux - qui crucifient
les coeurs, non les mains.
De simples douleurs corrodent et, consument
- quand meurt la vie dans le cerveau mort;
- dans l'esprit infini il y a place - pour les
battements d'une peine infinie.
Je voudrais que vous fussiez morte, ma chère;
- je vous donnerais, si j'avais à donner, -
quelque mort trop amère à craindre; - il vaut
mieux mourir que vivre.
Je voudrais que vous fussiez frappée par le
tonnerre - et brûlée d'une flamme brillante, -
consumée et fendue en deux, - moi mort à vos
pieds comme vous.
Si je pouvais seulement savoir, après tout, -
je pourrais cesser de désirer et de peiner, -
quoique votre coeur fut bien petit - s'il n'était
pas une pierre ou un serpent.
Vous êtes plus cruelle, vous que nous aimons,
- que la haine, la faim, ou la mort; - vous
avez des yeux et des seins de colombe, - et
vous tuez le coeur des hommes d'un souffle.
Comme un fléau dans une ville empoisonnée
- insulte et exulte sur ses morts, - ainsi vous,
quand, pâle de pitié, - vient l'amour, et demande
à être nourri.
Comme une bête apprivoisée se tord et lèche,
- il implore sa nourriture avec des caresses;
- vous lui faites une croix d'aiguilles, - et les
aiguisez et les pointez comme vous sourires.
Il est patient sous les épines et le fouet; - il
est muet sous la hache ou le dard;; - vous sucez
d'une lèvre rouge endormie - les humides bles-
sures rouges de son coeur.
Vous tressaillez tandis que ses pouls diminuent
- vous vous allumez et vous échauffez tandis
qu'il saigne, - les yeux insatiables qui s'éclai-
rent - et la bouche insatiable qui ronge.
Vos mains ont cloué l'amour à l'arbre, - vous
l'avez dénudé et flagellé de fléaux, - et noyé
profond dans la mer - qui cache les morts et
leurs dieux.
Et malgré tout ceci il ne veut pas mourir: -
aucun homme ne le voit que moi; - vous êtes
venue et partie et avez oublié, - j'espère qu'un
jour il mourra.
(Algernon Swinburne, traduction de Mourey)